Étudier les jeux vidéo: qu’est-ce que ça veut dire?
Ça cause toujours une réaction un peu étrange lorsque je dis que j’étudie les jeux vidéo. Les gens ont souvent une idée préconçue du travail des autres et il est souvent difficile d’avoir une idée préconçue pour le mien. Quand j’étudiais plutôt le cinéma, il arrivait que mes amis veuillent discuter d’un film qu’ils jugeaient ne pas avoir compris. L’équivalent est rare en jeu vidéo, quoique plusieurs pensent que je suis certainement meilleur qu’eux à StarCraft parce que c’est le jeu auquel j’ai consacré ma maîtrise.
Je me suis dit tout de même que c’est peut-être important de vous expliquer un peu ce que je fais au quotidien. J’entends souvent des gens être tentés de faire une maîtrise et qui me font part de leur hésitation. Rien de mieux qu’une explication de ce que ça peut représenter.
Le jeu vidéo comme objet culturel
Je suis inscrit dans un programme en études cinématographiques. C’est une science humaine, c’est-à-dire que ce que j’étudie est un objet culturel construit par des humains et utilisé par des humains et que ce qui m’intéresse dans l’objet, c’est la manière dont il fait partie de la vie de plusieurs personnes, comment il peut (ou a pu) les affecter.
StarCraft est un jeu de stratégie en temps réel assez emblématique: il est l’un des premiers jeux vidéo à avoir été joué professionnellement, c’est-à-dire que des joueurs sont commandités pour faire partie de ligues et de tournois compétitifs pour lesquels ils gagnent des prix substantiels. Sorti en 1998, il était encore en 2008 joué professionnellement (et l’est toujours, même si à une moindre échelle que StarCraft II). Je m’y suis intéressé pour cet aspect compétitif, stratégique, et pour la rapidité de jeu qu’il entraîne. Je voulais creuser le jeu pour comprendre comment fonctionne la stratégie et, surtout, qu’est-ce que l’idée de jouer en temps réel permet comme possibilités stratégiques. Pour reprendre une formule de mon mémoire que je paraphrasais d’un chercheur en études cinématographiques: je voulais « comprendre comment le jeu est compris ».
Les sciences humaines
Les sciences humaines ont toujours l’air « faciles » de l’extérieur en comparaison aux sciences de la nature — on l’entend malheureusement assez souvent lorsqu’on choisit son programme au Cégep. C’est que comprendre le résultat d’une discipline est relativement simple. Par exemple, connaître la Guerre 14-18 et ses causes n’est pas complexe, à la limite, c’est du par cœur. Mais il a fallu d’abord trouver la méthode qui nous a permis de comprendre que, parmi tous les phénomènes qui ont eu lieu dans les années précédant cette guerre, il y en a certains qui sont plus déterminants que d’autres. C’est là l’enjeu des sciences humaines.
À cette échelle, un mémoire de maîtrise, c’est le début d’un travail de chercheur. C’est un texte qui expose une problématique, c’est-à-dire un enjeu dans la discipline, une ambiguïté, un nœud qui mériterait qu’on essaie de le dénouer. Cibler la problématique est sans doute déjà très difficile et pertinent. Dans le cas de mon mémoire, c’était l’idée de mieux comprendre comment la notion de « jeu de stratégie en temps réel », qui semble a priori un oxymore (plus d’action voudrait dire moins de stratégie), fonctionne du point de vue cognitif. J’ai cherché à mieux comprendre comment, dans un jeu où on joue très rapidement, les questions de stratégie peuvent être au cœur de l’expérience davantage que les questions de vitesse d’exécution. Je devais démontrer, au fond, que la stratégie n’est pas que « choisir le bon plan d’action pour gagner », mais que c’était un processus cognitif qui était à l’œuvre tout au long d’une partie de StarCraft.
Une fois que c’est écrit, on peut plus facilement le lire et le comprendre. Mais il faut que quelqu’un fasse le travail de le démontrer en premier lieu. Et c’est ce travail, parfois sous-estimé, qui me passionne dans la recherche universitaire! Je réalise pourtant qu’à travers ce texte, je n’ai pas encore tout à fait parler de ce que, quoditiennement, je fais… ça m’en laissera plus pour le prochain!
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