La partialité parentale expliquée par Normand Baillargeon
J’apprécie et respecte énormément le travail colossal que Normand Baillargeon fait pour rendre accessible la philosophie, les sciences de l’éducation et la pensée en général. Dans ses chroniques du Voir, il propose une nouvelle série qu’il intitule À vous de jouer! et qui consiste essentiellement en la présentation la plus neutre possible d’un problème philosophique appliqué à l’éducation pour que les lecteurs puissent creuser le problème et proposer des pistes de solutions. Le premier exposé m’est d’un grand intérêt puisqu’il porte sur la partialité parentale.
La partialité parentale, essentiellement, est le problème moral entre, d’une part, chercher à être le plus impartial possible moralement envers les autres et, d’autre part, avoir un biais favorable envers nos enfants dans la plupart des situations.
Imaginons qu’un conflit éclate entre notre enfant et celui du voisin. La morale typique voudrait qu’on puisse juger sans biais quels sont les torts des deux dans la situation pour pouvoir porter un jugement sur la situation et agir en conséquence. Pourtant, on a souvent tendance à considérer davantage le point de vue de son propre enfant et à lui pardonner des écarts de conduite, même s’il est peut-être au fond le responsable du conflit en premier lieu.
Mais ce biais va bien plus loin. Il apparaît normal pour plusieurs que notre enfant puisse bénéficier d’à peu près tous ce qu’on peut lui donner. Ainsi, certains parents voudront donner la meilleure éducation possible à leur enfant en l’envoyant à une école privée ou alternative — si évidemment ils en ont les moyens —, sans agir vis-à-vis du fait que ce système d’éducation qu’ils ont parfois en horreur est la seule possibilité pour d’autres. Certains parents voudront offrir le mieux pour leur enfant, en investissant dans des REEE, en payant le prix que coûtent leurs passions, en leur achetant une voiture, en payant leurs études, en recourant à leur réseau de contacts pour leur trouver un emploi ou stage, etc. Les moyens financiers, logistiques et culturels des parents sont évidemment aux premières loges de ce qui détermine la possibilité même pour eux de leur donner ce type d’opportunités.
La partialité parentale est bien sûr l’une des sources premières d’inégalités. Très pragmatiquement, on ne peut effectivement pas s’assurer individuellement que tous les enfants aient une vie semblable à celle des nôtres, et c’est en fait sans doute une bonne chose qu’on ait tendance à favoriser nos enfants sur la plupart des choses. Avoir une relation privilégiée avec des adultes qui prennent soin de lui est considéré sans doute avec raison comme le minimum pour la sécurité affective d’un enfant. Mais on admet tout de même qu’il y a un problème majeur si ce ne sont pas tous les parents qui ont les moyens d’investir dans les études futures de leurs enfants, qui ont les contacts pour leur trouver un emploi, etc. On ne naît pas et on n’est pas tous égaux.
Platon suggérait dans La République d’éliminer la partialité parentale en séparant à leur naissance les enfants de leurs parents et en les élevant en commun, de sorte que personne ne puisse formellement savoir qui est son enfant parmi tout ceux de la cité.
L’idée de la série de chroniques de Baillargeon est d’exposer un problème moral sans inciter à une réponse toute fabriquée. Je ne prétends pas non plus être en mesure d’y proposer une solution. Il reste que je pense que de mieux comprendre quels sont les enjeux moraux des situations dans laquelle on est placés est essentiel pour pouvoir éventuellement proposer des solutions. Comprendre que la source des inégalités — comme la source de bien des choses d’ailleurs — vient de la parentalité aide à mieux cerner notre rôle comme parent et la responsabilité éthique qu’on a envers nos propres enfants comme ceux des autres.
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