Le privilégié et le féminisme
Je viens de lire un article de Francis Dupuis-Déri écrit en juillet dernier et j’avoue que je n’ai pas lu d’article aussi démotivant depuis un bon moment — malgré sa grande pertinence. Intitulé « Petit guide de ″disempowerment″ pour hommes proféministes » (publié à l’origine ici), Dupuis-Déri nous propose quelques manières d’agir dans la lutte féministe même si on est un homme profitant implicitement de la situation d’inégalité entre les sexes. Un article extrêmement nuancé, fort précis, clair, juste, mais… extrêmement démotivant. Non seulement je ne sais plus si je peux à juste titre me qualifier de féministe, mais je n’ai aucune idée de ce que je peux faire à présent.
J’ai toujours eu l’impression qu’on pouvait qualifier une pensée de féministe lorsqu’elle mettait en évidence le système de domination entre les deux sexes qui avantage fortement les hommes. Mais la distinction qui semble pour plusieurs nécessaire entre proféministe et féministe me frappe fortement, me laissant pris dans un malheureux fort désir d’inaction.
J’ai toujours eu l’impression d’être féministe parce que je ne me suis pas contenté de commencer un blogue sur la parentalité mettant en évidence le problème de la distinction mère-père. J’agis dans la vie de tous les jours suivant mes valeurs et je sais que ces actes ont eu un impact sur les gens qui m’entourent. Je n’avais jamais réfléchi à l’idée que le simple fait d’avoir un blogue comme celui-ci pourrait être perçu comme une manière de me faire du capital symbolique sur le dos des luttes féministes — d’autant plus qu’en tant qu’homme, chaque acte ou chaque revendication qui devrait aller de soi devient un exploit en soi.
C’est ce constant couteau à double tranchant qui me trouble, malgré la nuance qui émerge de la pensée de Dupuis-Déri. Cette nuance se lit dans les stratégies qu’il énumère: pour chaque manière d’agir, il rappelle que celle-ci peut être perçue comme exactement le contraire de ce qu’on cherche à faire, puis propose une solution qui devrait pouvoir permettre de rétablir un certain équilibre ou une apparence de bonne volonté. Mais parfois voire souvent, une thèse et une antithèse ne font pas une synthèse.
Trois stratégies me semblent problématiques. Je ne dis pas que je suis en désaccord avec ces stratégies; j’ai seulement une assez grande réserve pour que ces stratégies m’incitent fortement à retourner dans cette tour d’ivoire universitaire pour grandement y réfléchir avant de pouvoir me prononcer.
La première, c’est celle qui énonce l’idée claire que la lutte des féministes est celle des femmes, pas celle de toute personne qui souhaite une situation égalitaire.
Laissons leur lutte aux féministes : toujours se rappeler que la lutte féministe est la lutte des femmes, et non la nôtre.
Attention : des féministes pourraient souhaiter que nous soyons plus actifs dans notre engagement politique, surtout que plusieurs proféministes se complaisent dans l’auto-culpabilisation et se réfugient dans l’apathie.
Dupuis-Déri suggère que l’implication féministe d’un homme soit celle d’un auxiliaire. Par exemple, lors d’un événement militant, il pourrait s’occuper des tâches traditionnellement féministes.
La seconde, c’est l’idée qu’on doive accepter d’être physiquement exclus d’événements non-mixtes. Elle me heurte grandement dans mes valeurs… mais que puis-je en comprendre? Depuis qu’on m’a à plusieurs reprises affirmé que la série télé Girls était représentative de la vraie vie, j’avoue ne plus comprendre grand-chose au monde qui nous entoure.
La troisième, c’est l’idée qu’on ne devrait pas attendre de se faire expliquer les choses. Celle qui dit à l’homme: va lire avant de te prononcer. Celle-ci me heurte profondément aussi en grande partie parce qu’elle brise tout le processus que je cherche à créer à travers ce que je fais dans à peu près toutes les sphères de ma vie: parler à mon fils pour lui expliquer quelque chose, enseigner à mes étudiants certaines choses qui résultent de mes recherches personnelles, synthétiser et critiquer certaines positions pour faire découvrir des auteurs ou des pensées à des gens qui ne s’y seraient pas traditionnellement intéressé. Je ressens dans ce reproche un répresseur de pensée: une manière d’empêcher de poser des questions (car, oui, on me l’a reproché) si on n’a pas lu telle ou telle auteure — parfois sans même nommer tout simplement quelles lectures seraient les plus éclairées sur la question; même si je suis toujours irrité de me faire répondre par une bibliographie plutôt que par une pensée articulée qui en fait usage.
Dans ce combat où chaque tir glisse rapidement vers un friendly fire, je ne sais plus trop si je dois faire quoique ce soit. Prochaine étape alors, faire ce que je fais de mieux: lire et réfléchir.
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