La mère, le parent par défaut au Canada
La prestation fiscale canadienne pour enfants (PFCE) est un versement mensuel non imposable reçu pour les familles qui ont des enfants en bas de 18 ans.
Or, lorsqu’on regarde de plus près, c’est avant tout pour les femmes que cette prestation existe, pas pour les familles.
Sur le site de l’Agence du revenu du Canada, on précise que la personne qui reçoit cette prestation est le parent « principal responsable des soins et de l’éducation de l’enfant ». Déjà, que l’un des deux parents doive avoir ce rôle plus que l’autre me semble bizarre. Mais c’est encore plus étrange lorsqu’on s’attarde sur la définition qu’en donne l’Agence.
Principal responsable des soins et de l’éducation de l’enfant signifie que vous êtes responsable de surveiller les activité [sic] et les besoins quotidiens de l’enfant, de lui obtenir des soins médicaux, au besoin, et de trouver quelqu’un pour s’occuper de lui lorsque cela est nécessaire. Si le parent féminin vit avec l’enfant, elle est habituellement considérée comme la personne responsable des soins et de l’éducation de l’enfant. Cependant, si le parent masculin est le principal responsable, il doit joindre au formulaire RC66, Demande de prestations canadiennes pour enfants, une note signée par le parent féminin indiquant que le parent masculin est le principal responsable de tous les enfants demeurant dans la même maison (par. 5).
Pour reformuler, non seulement la mère reçoit-elle par défaut les montants concernant l’enfant au fédéral, mais si le père est en fait le principal responsable de ces soins et de l’éducation de l’enfant, il doit remplir un formulaire et ajouter une note signée par le parent féminin.
Vous avez bien lu. Je devrais avoir un « mot de ma femme » pour être admissible. Autrement dit, la responsabilité des soins et de l’éducation est un privilège féminin auquel elle peut renoncer pour le céder au parent masculin.
L’emploi des termes; ou mon désir de surinterprétation
Mais, tiens, allons plus loin dans l’analyse du discours, quitte à risquer d’aller dans la surinterprétation.
Il y a trois phrases dans ce court paragraphe, qui toutes réfèrent au concept de « principal responsable des soins et de l’éducation de l’enfant ».
- Dans la première phrase, pour la définition générale, on le retrouve sous sa forme intégrale.
- Dans la deuxième phrase, pour parler du cas où c’est la femme qui l’est, on choisit l’expression « personne responsable des soins et de l’éducation de l’enfant ». Remarquez qu’on enlève le terme « principal » présent dans la première phrase.
- Dans la troisième phrase, pour parler du parent masculin, on parle du cas où « le parent masculin est le principal responsable de tous les enfants demeurant dans la même maison ». Dans cette phrase, c’est à deux reprises qu’on utilise l’expression « principal responsable », tout en insistant qu’il soit responsable de tous les enfants.
On dirait que le texte est structuré pour s’assurer que chacun des deux sexes dans le couple (hétérosexuel) en arrive à la conclusion que la femme est celle qui se qualifie le mieux pour le rôle. Dans son cas, elle n’a pas à être « principale » responsable. Personne, père ou mère, ne dira qu’il n’est pas du tout responsable des soins de l’enfant ou de son éducation. Dans le cas du père, on insiste par contre pour qu’il soit le principal responsable de tous les enfants, pour qu’il se rappelle, par exemple, qu’il n’allaite effectivement peut-être pas le petit dernier. Le critère semble plus élevé pour le parent masculin.
On me rétorquera que c’est peut-être pour éviter les cas d’abus, où un père absent fait de la violence économique envers sa femme. Je dirai que je déteste être qualifié d’abuseur potentiel jusqu’à preuve du contraire.
Au pire, pourquoi ne pas écrire « Le versement va à la femme parce que c’est plus simple pour tout normaliser. » Et faire signer les deux pour tout changement. Mais non.
Mon désir de tout analyser me perdra.
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