Parenthèse sur l’accouchement
Mon billet « La découverte de l’allaitement » vient d’être publié dans le dernier exemplaire du MAMANzine réalisé par le Groupe MAMAN (Mouvement pour l’Autonomie dans la Maternité et l’Accouchement Naturel). J’ai eu la chance de rencontrer certaines militantes et j’ai eu envie de m’impliquer dans le projet de redonner confiance aux femmes dans leur capacité d’accoucher.
J’ai réalisé que le mot « naturel » est un concept qui demande une réflexion parce qu’il est souvent galvaudé. On touche ici une corde sensible puisque la majorité des femmes souhaitent un accouchement vécu dans la « normalité ». Force est d’admettre que pour plusieurs raisons, les événements ne se déroulent pas toujours comme prévu. L’accouchement est imprévisible et d’une intensité difficile à qualifier. Il s’agit d’un rare moment où la femme entre dans un état où coexistent à la fois une grande puissance du corps, mêlée à une vulnérabilité sous sa forme la plus brute.
Je garde toujours en tête une triste réalité, celle qui est vraie qu’il n’y a pas si longtemps, des femmes et des enfants mourraient à la naissance. Cette histoire, j’en parle de manière émotive dans mon texte sur l’accouchement dans les années 1950. À cette époque, on expérimentait deux extrêmes, celui des accouchements en maison, souvent sans l’aide d’une personne qualifiée, ou à l’hôpital, sous anesthésie générale.
Ces méthodes marquent aujourd’hui une certaine forme de préjugés de part et d’autre des approches professionnelles : les médecins jugent parfois les compétences des sages-femmes pourtant hautement qualifiées et celles-ci critiquent le recours presque systématique à la médication à l’hôpital. Pourquoi tant d’écart entre les deux? Probablement parce que le début du siècle est marqué par le souvenir douloureux de ces femmes et de ces enfants qui perdaient la vie à l’accouchement, tant à l’hôpital qu’à la maison.
Comme je l’explique dans le billet Brève histoire de l’accouchement au Québec sur le blogue de Maman Éprouvette, on notait 5,2 décès de femmes sur 1000 naissances en 1926. De nos jours, on parle plutôt de 12 décès sur 100 000 naissances au Canada en 2010 soit 0,12 sur 1000. Je pense que ces données sur notre passé sont encore ancrées en nous et marquent en quelque sorte un traumatisme collectif. L’amélioration significative du taux de survie peut être probablement attribuable à une meilleure hygiène et à une meilleure connaissance des processus physiques de la naissance. Malgré tout, l’accouchement fait peur et on a en quelque sorte perdu confiance dans le processus physiologique dit naturel. Mais justement, qu’est-ce que ça veut dire? La société des obstétriciens et gynécologues du Canada définit l’accouchement naturel dans une publication en ligne.
Accouchement naturel – L’enfant naît en position « tête première », par le vagin (filière pelvigénitale), supervisé par un professionnel de la santé qui s’assure que la mère et le bébé sont en bonne santé, mais le travail évolue sans assistance médicale.
Je souligne ici le fait qu’on mise sur la supervision d’un professionnel de la santé, tout autant médecin que sage-femme. Récemment, le journal scientifique The Lancet a publié une série d’études proposant un revirement sur les approches actuelles. Le respect de la femme et de sa famille et le recours à des soins personnalisés contribueraient de manière significative au bon déroulement de l’accouchement. L’article de Mariève Paradis La pratique sage-femme dans The Lancet paru dans Planète F résume bien les propos du texte original :
Dans une analyse de 461 revues comprise dans la série, on démontre que les femmes ont besoin de services respectueux offerts par le personnel soignant « qui engendre la confiance avec des soins personnalisés aux besoins individuels ». Cette analyse rappelle que les services de santé pour les mères et leur bébé ont plutôt eu tendance à être des interventions pour sauver des vies plutôt que de se baser sur les besoins réels des mères.
Pourquoi a-t-on bien souvent cette boule d’émotion qui nous chavire quand on parle de cette journée qui marque un tournant dans une vie? Et si c’était parce que le volet émotionnel est beaucoup plus important que l’on pense?
Dans le même article, on souligne des conséquences alarmantes par manque de soutien qualifié :
La sous-utilisation et la surutilisation des interventions pendant la grossesse et l’accouchement contribuent, selon cette série d’études, à des complications aiguës et chroniques autant cliniques que psychologiques pour environ 20 millions de femmes enceintes dans le monde. Comme notre article sur le syndrome de stress post-traumatique suivant l’accouchement mentionnait, les conséquences psychologiques peuvent être débilitantes pour les mères.
Il faut le dire et le répéter : la préparation à l’accouchement est essentielle et trop souvent négligée par manque de ressource. On ne demanderait jamais à personne de faire un marathon sans une préparation rigoureuse, à la fois sous l’aspect physique et psychologique. Pourtant, chaque jour on demande à des femmes de vivre une expérience d’une telle intensité sans véritable préparation. On s’étonne collectivement du haut taux d’intervention médicale et on fait porter le fardeau sur celles qui en ont recours. Ce n’est pas la solution. Il est urgent de travailler en amont pour que les femmes s’approprient leurs accouchements et qu’elles puissent les vivre comme elles le désirent, selon leurs propres convictions.
En cela, je crois qu’il est tout naturel qu’ensemble on travaille à changer les choses dès maintenant.
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